Histoire de CC : datations Wade & Butcher ( quatre )

Des circonstances - hautement favorables - y ayant présidé : ce n'est pas un, mais quatre, Wade & Butcher que je vais donc essayer d'identifier et de dater ici.

J'en profite pour remercier une fois encore Laurent / Plexus et Aymeric / MRIK, qui m'auront permis d'entrer en possession de quatre W&B quand je n'envisageais qu'à long terme, et sous réserve, l'acquisition d'un seul. Comme quoi il ne faut jamais désespérer.    

Concernant le très roboratif historique de la marque, et comme de bien entendu, je vous renvoie au sujet dédié et à ses suites. C'est là :
https://www.rasage-traditionnel.com/t30501-histoire-de-cc-la-marque-wade-butcher?highlight=Wade++Butcher

Et concernant la datation, autant le dire tout de suite : ce n'est pas simple. Car s'il y a sans doute eu une logique dans les formes et formulations des matriçages de soies, leur sens s'est perdu¹. Se raccrocher à des modèles ne sera guère plus utile, dans la mesure ou la marque a généralement procédé par ajouts de nouvelles configurations sans que ça engendre l'abandon des anciennes - qui vont toutefois connaître des modulations cosmétiques - jusqu'à la fin du 19^ième siècle au moins.



En foi de quoi les spécialistes avérés de W&B restent le plus souvent sur des marges de datation prudentes. Ce que je n'aurai pas la prétention de contester par les miennes.

Allez hop : en selle !

Premier constat : aucun de ces CC n'étant simplement matricé Wade, on est dans le postérieur à 1820. Évident, certes, mais ça va toujours mieux en le disant    

Deuxième constat : on est en présence de deux séquences. Tandis que les deux lames lourdes sont dépourvues de marque de nationalité, les deux légères sont marquées England sans le « made in ». Ce qui nous situe - sauf improbable exception² - avant 1890 pour les premières, et dans la fourchette 1890 - 1914 pour les secondes.

L'absence de marquage(s) couronné(s) nous prive par ailleurs d'un excellent élément de datation qu'il me paraît utile de détailler en annexe.

Là-dessus, essayons d'entrer dans le détail là où et jusqu'où c'est possible, en commençant par l'Ancêtre.

W&B Rattler For Barber Use

L'Ancêtre est un rattler³ dont l'usure ne fait que réduire encore une marge d'erreur déjà limitée : il s'agit, selon toute probabilité, d'un membre de la ( grande ) famille « For Barber Use », se présentant désormais sous la forme d'un 7/8 déclinant, au sourire marqué.

L'examen de sa forme générale amène à situer la manufacture de ce rasoir au milieu du 19^ième siècle, ce que la présence d'une châsse en ébonite ne dément pas⁴. Toutefois, pour conserver une marge d'erreur et en attendant mieux, je me limiterai à dater ~1850 - 1870, l'estimation haute correspondant à la normalisation progressive des meulages transversaux pour les évidements profonds.



C'est un faux mince, qui pèse dans la main à la manière d'un near wedge tout en proposant un final très aigu. Les avantages des deux ? Une forme intermédiaire en tout cas, qui procure des rasages doux et très efficaces, mais délicats dans les passages sensibles : débutant s'abstenir.

W&B Celebrated Fine India Steel diamond edge⁵

En voilà un qu'il est beau, n'est-il pas ? Beau, et porteur d'un bien intéressant matriçage : « Celebrated fine india steel set ready for use » auquel je consacre une Histoire de CC spécifique, tant l'interrogation basique qu'il suscite entraîne bien plus loin que prévu dans la compréhension de ce qu'est un coupe-chou historique.



Ceci dit, cette très orientale revendication ne permet pas de cerner une époque : elle sera largement utilisée pendant la deuxième partie du 19^ième siècle et au début du 20^ième. Et pas seulement par Wade & Butcher, ni chez les seuls Britanniques : Boker, entre autres, y aura recours.



Le dos, en forme de diamant ? Certaines sources⁶ font remonter son adoption à 1810. Voilà qui me ravirait. Si les catalogues ne témoignaient de sa persistance jusqu'en 1895 au moins.

Reste que les trois exemplaires les plus proches que j'ai pu observer sont datés du milieu du 19^ième siècle par les rédacteurs de leurs historiques ; au nombre desquels H.T. Lummus⁷ et celui du site acierfondu, qui est notoirement adoubé par Zak Jarvis⁸. Dans ces conditions, et bien que je sois tout disposé à me mettre au bœuf bouilli si ce magnifique CC n'a pas été - remarquablement - restauré, j'adopte cette datation : va pour le milieu du 19^ième siècle, dans l'acception large de l'expression.

W&B 11/16 Celebrated Extra Hollow Ground Razor barber notch

Ce joli barber notch présente une double émouture dont les faux airs de rattler, alliée à la cambrure du dos, ne fait qu'accentuer l'impression d'entre-deux qui, dans la séquence 1890 - 1914 consécutive au marquage de nationalité - gravé et non matricé, à l'instar de l'ensemble du cartouche -  tendrait à me le faire dater de la fin 19^ième. Mais dans la mesure où j'ai pu voir des lames en tous points similaires, exception faite d'un dos de type diamant qu'on ne verra plus guère - si on l'y voit encore - au 20^ième siècle, je resterai sur la fourchette basique ~1890 - 1914.



Quoi qu'il en soit c'est vraiment un excellent rasoir, ultra-léger et maniable, qui fera le bonheur des amateurs du genre porteurs d'ornements pileux.

On peut simplement regretter l'absence de stries de prise en main qui, eu égard aux dimensions et à la grande légèreté, rendent quasi incontournable le recours à l'alun sur le bout des doigts ; avec l'impératif de nettoyage attentif de la soie qui va de pair.

W&B 6/8 Celebrated Extra Holow Ground Razor nez rond

Le petit dernier est un ( petit ) 6/8 qui a vécu : même s'il a manifestement été fort bien soigné durant son service, l'épaulement porte des traces d'usure, et le bas de la gravure est trop proche du fil pour n'avoir pas connu des jours meilleurs. Ce qui, paradoxalement, est plutôt rassurant pour la suite. On imagine assez mal quelqu'un passer son temps, pendant des années, à prendre tel soin d'une bouse    

En nous donnant son nom, celui-là nous facilite d'autant la vie que le marquage de lame est gravé - et non frappé - tandis que l'absence du made in restreint en principe le champ de datation antérieurement à 1914. L'évidement profond est, qui plus est, net et sans bavure.



Dans la fourchette 1890 - 1914, ces éléments et la forme générale désignent a priori une fabrication tardive ; j'oserai donc, comparativement au précédent, une marge plus réduite vers le bas : ~1900 - 1914.

C'est un vrai bonheur à utiliser quand on est, comme moi, amateur de petites lames agiles et très évidées. L'absence de stries de prise en main est ici moins pénalisante vu le rapport de dimensions entre la soie et la châsse : les doigts se placent bien pour rendre la prise stable.


Voilà voilà ( ... la bise à Cazarre… ) J'espère que cette série de détails aidant à la datation pourront vous être utiles ; tout en insistant bien, et peut-être encore plus que d'habitude, sur le fait que ce genre d'exercice ne saurait être une science exacte à moins de disposer de sources primaires. Et même alors : dès que la réclame s'en mêle, l'usage de pincettes devient de rigueur.  À toute époque…  

Je publierai dans les heures qui viennent concernant une mention « Celebrated fine india steel set ready for use » qui ne dit pas le contraire    


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ANNEXE

Les marquages relatifs à la Maison Royale Britannique

C'est un élément bien documenté et pourtant rarement utilisé sur les sites francophones : on oublie souvent que la Reine Victoria fit un authentique mariage d'amour en épousant Albert de Saxe-Cobourg-Gotha, en 1840. Et que la mort de celui-ci, en 1861, fut une réelle douleur pour la Souveraine qui portera le deuil de son époux jusqu'à la fin de ses jours.

Dans ce contexte, elle décréta entre autres que la désignation de la Maison royale conserverait son pluriel : « Their Majesties ». Il en fut ainsi jusqu'à sa propre mort, en 1901, à dater de laquelle le singulier : « His Majesty » fut repris par Edward VII.



Rencontrer la mention « Cutlers to their Majesties » est donc, à coup sûr, indicatif du règne de Victoria entre 1857 - année où le titre distinct de Prince Consort fut attribué à Albert de Saxe-Cobourg-Gotha, qui fut et reste le seul conjoint mâle à l'avoir porté officiellement - et le décès de celle-ci, en 1901.

Cet élément de datation est particulièrement intéressant pour la période charnière entre les 19^ième et 20^ième siècles où, en conjonction avec les types de mention d'origine nationale, il va autoriser une fourchette plus restreinte : la gravure / frappe « Cutler(s) to their Majesties » alliée à un simple « England » résume ainsi la période de manufacture à 1890 - 1901.


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NOTES

1 Un contributeur du site allaboutpocketknives recense pas moins de quatre types de marquage différents - forme, indication etc. - pour la seule datation validée 1850 - 1880. Et il y en a sans doute existé davantage.
2 Durant toute son existence, quels que soient ses propriétaires, la marque a beaucoup exporté vers l'Amérique du Nord : il était donc vital pour elle d'être à la page.
3 Lame dont l'évidement a été réalisé par conjonction d'un meulage longitudinal avec un transversal, plus commun. C'était, nous disent les documents d'époque, une méthode requérant beaucoup de métier ; ce qui, soit dit en passant, rend particulièrement injuste la très péjorative - et fort discutable - qualification de faux-frameback qui est trop souvent accolée aux CC du genre.
4 L'ébonite est inventée par Charles Goodyear en 1839, qui propose les premières applications du matériau dès 1844.
5 Dos en ( forme de ) diamant.
6 Shave Library et strazors.com entre autres.
7 et 8 Référents notoires en matière de rasoirs droits manufacturés en Grande-Bretagne, et particulièrement à Sheffield, aux 18 et 19^ièmes siècles.

SOURCES

Bibliographie :

« Old Sheffield razors » - Henry T. Lummus - 1922
« The straight razor » - Shave Library
« Turning and mechanical manipulation », vol. 1 - C. Holtzapffel - Londres, 1850 - Téléchargé sur Google Books.

Sur la Toile :

acierfondu.wordpress.com/wade-and-butcher
allaboutpocketknives.com
badgerandblade.com
coupechouclub.1fr1.net
popularmechanics.com
sharprazorpalace-com
strazors.com
wikipedia.org

Quel travail! Merci jeune homme pour toute cette histoire du w&b supra intéressante!

Wah !
   

Magnifique Almostblue.

Très intéressant AlmostBlue, merci!

Merci pour vos appréciations  !        

Beau travail, un plaisir à lire
Wikipédia en version premium
Merci Patrick

Merci à toi, Yves